Cet article s'adresse à des décideurs du monde de l'assurance, des responsables produit d'assurance auto, des responsables de programmes de prévention, et des actuaires, qui souhaitent découvrir le niveau de granularité que la télématique smartphone est capable de fournir.
Introduction
En 1990, Denis Kessler écrivait dans son Très Petit Dictionnaire d'Économie de l’Assurance “la recherche d’information est coûteuse. L’assureur ne connaît notamment pas le comportement de prudence de l’agent, qui doit en fait affecter le tarif proposé à l'assuré”.
En 2023, dans plusieurs secteurs de l’assurance, certaines évolutions technologiques tendent à remettre en cause cette asymétrie. L’assurance auto est notamment impactée par la démocratisation de nouveaux outils d’analyse de la conduite, comme la télématique smartphone.
Alors que traditionnellement, les assureurs auto calculent la prime d’un assuré en fonction de ses antécédents de sinistres et de critères déclaratifs (âge, lieu de résidence, type de stationnement…), la télématique smartphone offre aux assureurs un moyen de collecter des indicateurs représentatifs du comportement de conduite, et révélateurs du risque routier : les accélérations fortes, les freinages brusques, ou encore l’utilisation du téléphone pendant la conduite.
Comment exploiter ces indicateurs ? Comment les utiliser pour segmenter une communauté de conducteurs ? Comment identifier les conducteurs à risque pour mieux cibler le travail de prévention ? Cet article propose des réponses en prenant pour objet principal la distraction causée par l’utilisation du téléphone au volant.
Pour commencer, nous expliquons les deux types d'événements de distraction mesurés par la solution télématique de DriveQuant, ainsi que le principe de calcul du score de distraction. Ensuite, nous présentons la segmentation d’une communauté de conducteurs en fonction des comportements de distraction. Enfin, nous analysons le profil de distraction de quatre conducteurs, afin d’extraire des données pour personnaliser les conseils de prévention.
Définition des indicateurs et du score de distraction
Notre solution de mesure du comportement de conduite distingue deux types d'événements de distraction liés à l'utilisation du téléphone :
-
Les déverrouillages de l’écran, qui indiquent la lecture d’un message ou l’utilisation d’une application.
-
Les appels téléphoniques interdits, qui ne sont pas effectués à l’aide du système main libre du véhicule
Le score de distraction dépend du nombre d'occurrences et de la durée de ces évènements. Son principe de calcul est schématisé ci-dessous :
Figure 1 - Principe du calcul de score de distraction
Pour chaque trajet réalisé, le service retourne :
-
un sous-score basé sur la fréquence de déverrouillages par kilomètre,
-
un sous-score basé sur la durée des appels téléphoniques interdits,
Le sous-score le plus faible équivaut au score de distraction.
La Figure 2 représente les fonctions de sensibilité de chaque sous-score. Ce sont des fonctions décroissantes qui pénalisent le conducteur si la fréquence de déverrouillages ou la durée d’appel augmente pendant le trajet.
Figure 2 - Fonctions de sensibilité des scores de déverrouillage et d’appel
Segmentation d’une communauté de conducteurs en fonction des comportements de distraction
Notre service d’analyse de la distraction permet de distinguer deux types d'événements : les déverrouillages et les appels interdits. Il est donc possible de connaître pour chaque conducteur la répartition entre les déverrouillages et les appels téléphoniques. C’est ce que représente la Figure 3 ci-dessous pour une communauté de 10 000 conducteurs ayant enregistré au minimum 200 trajets avec notre service.
Figure 3 - Performances des conducteurs représentés dans le plan des scores de déverrouillage et d’appel.
La répartition des conducteurs dans ce plan donne à l’assureur une vision panoramique de la diversité des comportements de distraction de son portfolio d’assurés. L’assureur peut ensuite partitioner son portfolio en fonction du type et de l’intensité de la distraction (Figure 4).
Le référentiel est divisé en 9 quadrants afin de constituer des groupes de conducteurs. Les valeurs choisies pour délimiter les quadrants s’appliquent pour les deux scores :
-
Bon : le score est supérieur à 9/10.
-
Moyen : le score est compris entre 7/10 et 9/10.
-
Mauvais : le score est inférieur à 7/10.
Ces seuils ont été choisis empiriquement. Chaque assureur peut les ajuster en fonction des niveaux de risques et des sinistres constatés pour les conducteurs considérés.
Figure 4 - Délimitation de quadrants dans le plan des scores de déverrouillage et d’appel.
Le tableau suivant indique le nombre de conducteurs compris dans chaque quadrant :
score de déverrouillage |
||||
mauvais |
moyen |
bon |
||
score d’appel |
mauvais |
3290 |
949 |
6 |
moyen |
3158 |
1644 |
23 |
|
bon |
714 |
920 |
138 |
On constate que le comportement de distraction moyen alterne les déverrouillages et les appels téléphoniques. Environ 30% des conducteurs sont très distraits. Ils déverrouillent fréquemment leur téléphone et passent régulièrement des appels interdits. A l’opposé du spectre, moins de 2% des conducteurs n’utilisent jamais leur téléphone au volant.
Il est également possible de segmenter une communauté de conducteurs en utilisant d’autres référentiels basés sur les évènements de distraction :
-
dans un référentiel défini par la fréquence de déverrouillages et la fréquence de trajets avec appels.
-
dans un référentiel défini par la fréquence de déverrouillages et la durée d’appel en secondes par trajet pour chaque conducteur.
La Figure 5 affiche les valeurs moyennes du nombre de déverrouillages pour 100 km et les valeurs moyennes du pourcentage de trajets avec appels pour chaque conducteur. Nous conservons une division de ce référentiel en 9 quadrants avec les seuils suivants :
-
La fréquence de déverrouillages :
-
Bon : moins de 5 déverrouillages pour 100 km.
-
Moyen : Entre 5 et 15 déverrouillages pour 100 km.
-
Mauvais : plus de 15 déverrouillages pour 100 km.
-
-
La fréquence de trajets avec appels :
-
Bon : Moins 5% de trajets avec un appel interdit
-
Moyen : Entre 5% et 20% de trajets avec un appel interdit
-
Mauvais : Plus de 20% de trajets avec un appel interdit
-
Figure 5 - Délimitation de quadrants dans le plan du nombre de déverrouillages et du pourcentage de trajet avec des appels.
Le tableau suivant indique le nombre de conducteurs compris dans chaque quadrant :
Fréquence de déverrouillages |
||||
mauvais |
moyen |
bon |
||
Pourcentage de trajets avec des appels |
mauvais |
5 536 |
2 092 |
45 |
moyen |
1 345 |
1 133 |
114 |
|
bon |
129 |
280 |
170 |
Le changement de référentiel ne transforme pas les conclusions présentées plus haut. On constate que le groupe de conducteurs considéré présente toujours une utilisation importante du téléphone au volant puisque plus de 50% des conducteurs déverrouillent leur téléphone et passent des appels interdits fréquemment.
La Figure 6 affiche les valeurs moyennes du nombre de déverrouillages pour 100 km et de la durée d’appel en secondes par trajet pour chaque conducteur. Nous conservons une division de ce référentiel en 9 quadrants avec les seuils définis ci-dessous :
-
La fréquence de déverrouillages :
-
Bon : moins de 5 déverrouillages pour 100 km.
-
Moyen : entre 5 et 15 déverrouillages pour 100 km.
-
Mauvais : plus de 15 déverrouillages pour 100 km.
-
-
La durée d’appel :
-
Bon : la durée d’appel est de moins de 20 secondes par trajet.
-
Moyen : la durée d’appel est comprise entre 20 et 60 secondes par trajet.
-
Mauvais : la durée d’appel est supérieure à 60 secondes par trajet.
-
Figure 6 - Délimitation de quadrants dans le plan du nombre de déverrouillages et durée d’appel par trajet.
Le tableau suivant indique le nombre de conducteurs compris dans chaque quadrant :
Fréquence de déverrouillages |
||||
mauvais |
moyen |
bon |
||
Durée d’appel |
mauvais |
3 808 |
1 363 |
29 |
moyen |
2 254 |
1 216 |
58 |
|
bon |
946 |
926 |
242 |
Analyse du profil de distraction de quatre conducteurs
Au-delà de la segmentation et de l’évaluation précise du risque de son portfolio, un assureur qui utilise notre service d’analyse de la conduite peut observer le profil de distraction individualisé de ses assurés, et notamment les indicateurs suivants :
-
les habitudes de distraction
-
les contextes routiers les plus propices à la distraction
-
Les jours et les heures de pointe
Pour illustrer le potentiel du profil de distraction individualisé, nous avons choisi quatre conducteurs issus de la communauté étudiée dans la deuxième partie et qui possèdent des habitudes de distraction dissemblables. Ils sont symbolisés sur la Figure 7 par les lettres A, B, C et D.
Figure 7 - Sélection de 4 conducteurs dont les utilisations du téléphone diffèrent.
On constate que les conducteurs A et D ont des habitudes de distraction opposées :
-
Le conducteur A lit ou envoie des messages mais ne téléphone jamais.
-
Le conducteur D utilise son téléphone pour passer des appels mais jamais pour consulter ses messages.
-
Le conducteur B est très peu distrait.
-
Le conducteur C est fréquemment distrait par des appels téléphoniques ou l’utilisation d’applications mobiles.
Les habitudes de distraction
Les Figures 8 et 9 présentent l’analyse statistique des évènements de distraction de tous les trajets des 4 conducteurs. Pour chaque conducteur il est possible de déterminer la valeur médiane du nombre de déverrouillages par trajet (Figure 8) ainsi que la durée d’appel (Figure 9).
Figure 8 - Distribution des scores de déverrouillage pour les 4 conducteurs sélectionnés.
Le conducteur C manipule son téléphone environ une fois tous les 4 kilomètres. Il ne compte que 27% de trajet sans déverrouillage. A l’opposé, le conducteur B utilise son téléphone moins d’une fois tous les 10 kilomètres. Environ 85% de ses trajets sont des trajets sans distraction.
Figure 9 - Distribution des scores d’appel pour les 4 conducteurs sélectionnés.
L’analyse de la durée des appels téléphoniques révèle que 60% des déplacements en voiture du conducteur C sont des trajets avec appels interdits. On constate également que les trajets avec appels du conducteur B sont très rares et beaucoup plus courts que ceux des conducteurs A et D.
Grâce à l’analyse statistique des évènements de distraction, un assureur peut obtenir très précisément les habitudes de distraction d’un conducteur :
-
nombre de trajets avec et sans déverrouillage,
-
nombre de trajets avec et sans appels,
-
fréquence médiane de déverrouillage par kilomètre,
-
durée moyenne des communications téléphoniques.
Les informations qui en résultent sont exploitables pour approfondir l’analyse du risque et également pour aider l’assuré à prendre conscience de son usage du téléphone et à le réduire.
Les contextes routiers
Notre solution labellise chaque événement de distraction détecté (déverrouillage ou appel téléphonique) ainsi que le type de route associé. Le type de route résulte de l'analyse de la vitesse de déplacement qui permet la classification de tous les segments routiers qui composent un trajet.
La Figure 10 montre la répartition des évènements de distraction par contexte routier pour les 4 conducteurs sélectionnés.
Figure 10 - Distribution des contextes routiers lors de l’utilisation du téléphone pour les quatre conducteurs sélectionnés.
L’analyse révèle que le conducteur A, qui a tendance à déverrouiller son téléphone fréquemment, le fait lorsque son véhicule est à l’arrêt, et surtout en ville. Le conducteur D téléphone ou déverrouille son téléphone en ville ou sur voies rapides. Le conducteur C, le plus distrait, utilise son téléphone où qu’il soit.
De manière générale, les contextes routiers habituels les plus empruntés sont également les plus propices à la distraction. En les identifiant, un assureur peut évaluer plus précisément la probabilité et la sévérité d’un accident.
Les jours et les horaires de pointe
Les évènements de distraction (déverrouillage ou appel téléphonique) sont horodatés par notre solution. La Figure 11 montre les distributions journalières et horaires des occurrences de déverrouillages ou de début d’appel pour le conducteur A.
Figure 11 - Distribution des évènements de distraction par heure de la journée et par jour de la semaine.
La répartition des évènements de distraction de ce conducteur est très homogène dans la semaine. On observe un pic d’appel de 17h00 à 20h, ce qui suggère que le conducteur communique lorsqu’il rentre chez lui après sa journée de travail.
Conclusion
La recherche d’informations, coûteuse et difficile autrefois, est aujourd’hui plus simple et plus abordable grâce au smartphone. Il y a encore dix ans, un assureur n’avait aucun moyen de quantifier la distraction de ses assurés au volant. Aujourd’hui, la télématique smartphone permet non seulement de segmenter un portfolio de conducteurs afin d’isoler les plus distraits, mais aussi d’obtenir le profil de distraction individualisé de ses assurés : appel ou déverrouillage, contexte routier, heure et jour de pointe.
Toutes ces informations sont précises, factuelles et objectives. En intégrant ces données, un assureur se donne les moyens d’enrichir ses modèles de risque et d’établir un lien avec la sinistralité. Surtout, la télématique smartphone lui permet d’identifier les conducteurs les plus à risque et d’agir sur ce risque en ciblant les efforts de prévention sur les indicateurs les plus critiques.
Plusieurs assureurs en Amérique du Nord et dans certains pays européens comme l’Italie, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, ont déjà lancé des programmes à grande échelle basés sur la télématique smartphone. Vous aussi, apprenez à mieux connaître vos clients. Aidez-les à adopter une conduite plus sûre pour réduire leur risque routier en proposant des services de prévention et de coaching.