Introduction
Dans la première partie de notre baromètre consacré à l'analyse de la distraction au volant, nous avons expliqué comment utiliser le smartphone pour comprendre ce phénomène et nous avons défini les indicateurs pour le mesurer objectivement.
Ce deuxième article est consacré à l’exploitation de ces indicateurs. Afin d’illustrer la valeur ajoutée de leur mesure et de leur analyse, nous examinerons des données réelles d’assurés ayant souscrit à des offres connectées. Ces données ont été collectées par notre service d'analyse de la distraction pendant une période de 6 mois.
Nous considérons deux groupes distincts composés de 4 000 conducteurs chacun :
- Le groupe A est composé de conducteurs justifiant de moins de 4 années d'expérience.
- Le groupe B comprend une population plus homogène en termes de répartition d'âge.
Pour mieux définir la typologie et l’amplitude du phénomène de distraction, nous avons comparé les deux groupes en nous basant sur les indicateurs suivants :
-
la fréquence des déverrouillages du smartphone par unité de temps, par unité de distance et par trajet,
-
la durée et la fréquence des appels téléphoniques,
Nous analysons également la relation entre ces indicateurs et le contexte du trajet : les plages horaires et le type de route.
L'analyse de ces indicateurs a pour objectif de déterminer le profil exact de distraction des deux groupes de conducteurs. Cela permet de mettre en évidence les différences majeures qu’on peut constater entre deux groupes distincts et donc les axes d’amélioration sur lesquels l’assureur doit concentrer sa communication et la prévention afin de réduire le risque et la sinistralité de ses clients.
Fréquence de déverrouillage
Un déverrouillage détecté est révélateur d’une manipulation du téléphone au volant pour utiliser une application mobile, pour consulter/écrire un message ou pour composer un numéro d’appel. La répétition des déverrouillages est symptomatique d’un conducteur distrait ou d’un conducteur qui consulte son téléphone de manière compulsive.
Les résultats présentés ci-dessous correspondent à des statistiques calculées pour l’ensemble des conducteurs des groupes A et B. Nous utilisons plusieurs référentiels pour exprimer la fréquence de déverrouillage :
-
par heure de conduite,
-
pour 100 km,
-
et pour 10 trajets.
Le graphique ci-dessous représente les densités de probabilité du nombre de déverrouillages par heure de conduite pour les deux groupes. Pour construire ce type de représentation, on calcule la grandeur d’intérêt pour chaque conducteur qui est ensuite représentée sous la forme d'une distribution. La superposition des données des conducteurs de chaque groupe est révélatrice de leurs différences.
Le tableau suivant présente des points caractéristiques de ces distributions : le premier quartile, la valeur médiane, le troisième quartile et la moyenne.
Nombre de déverrouillages par heure de conduite |
Groupe A |
Groupe B |
Q25 |
1,3 |
4,4 |
Q50 |
3,5 |
6,7 |
Q75 |
6,8 |
9,5 |
Moyenne |
5 |
8 |
A temps de conduite égal, les conducteurs du groupe A déverrouillent beaucoup moins leur smartphone que les conducteurs du groupe B. La comparaison de la valeur médiane (Q50) des deux groupes révèle d’ailleurs que le cœur des conducteurs du groupe B déverrouille environ deux fois plus leur téléphone que le cœur des conducteurs du groupe A.
On constate également que 20% des conducteurs ne déverrouillent jamais leur téléphone dans le groupe A contrairement au groupe B où presque tous les conducteurs déverrouillent leur téléphone.
Le graphique suivant représente les densités de probabilité du nombre de déverrouillages pour 100 kilomètres pour les deux groupes.
Les distributions relatives à la distance parcourue diffèrent peu de celles relatives au temps de conduite.
Nombre de déverrouillages pour 100 km parcourus |
Groupe A |
Groupe B |
Q25 |
2,4 |
7,8 |
Q50 |
6,4 |
12,5 |
Q75 |
13,5 |
18,4 |
Alors que les conducteurs du groupe A effectuent en moyenne un déverrouillage tous les 10 km, ceux du groupe B déverrouillent leur téléphone en moyenne tous les 7 km.
Enfin, avec le dernier graphique, on s’intéresse aux densités de probabilité du nombre de déverrouillages pour 10 trajets pour les deux groupes.
En examinant la fréquence de déverrouillage pour 10 trajets, l’écart entre les deux groupes se confirme. Seuls les conducteurs appartenant au troisième quartile du groupe A déverrouillent leur téléphone au moins une fois par trajet. En comparaison, tous les conducteurs du groupe B déverrouillent leur téléphone au moins une fois par trajet, avec un pic à plus de deux déverrouillages par trajet pour les individus appartenant au troisième quartile.
Nombre de déverrouillages pour 10 trajets réalisés |
Groupe A |
Groupe B |
Q25 |
3,3 |
10,3 |
Q50 |
8,2 |
16,6 |
Q75 |
15,7 |
24,1 |
Les disparités à l’intérieur même des groupes sont également très fortes puisque la fréquence de déverrouillage entre les premier et deuxième quartiles augmente de 170% pour le groupe A et 60% pour le groupe B.
Le groupe A apparaît globalement moins distrait avec plus de 10% des conducteurs qui ne manipulent jamais leur téléphone au volant. Le groupe B ne compte que 2% de conducteurs qui ne déverrouillent jamais leur smartphone.
L’UTILISATION DU TÉLÉPHONE RÉDUIT LE TEMPS DE RÉACTION EN CAS D’URGENCEDéverrouiller et jeter un coup d'œil à son téléphone peut sembler être un acte anodin et fugace. Cependant, fixer du regard son téléphone pendant quelques secondes détourne l’attention du conducteur et augmente le risque d’accident. A titre d’illustration, le tableau ci-dessous présente l'évolution de la distance parcourue pendant 2 secondes en fonction de la vitesse de déplacement. La distance parcourue pendant ce court laps de temps peut avoir des conséquences graves en cas de ralentissement brusque ou d’évènement imprévisible.
|
Durée et fréquence des appels téléphoniques
Notre solution d’analyse de la distraction est en mesure de détecter les appels téléphoniques et de déterminer s’ils sont autorisés ou prohibés par la loi. Un appel téléphonique est considéré “autorisé” uniquement si le conducteur utilise le système main libre de son véhicule. Tous les autres appels sont labellisés “interdit” et notre service identifie même la nature de l’appel (entrant ou sortant) et le système audio utilisé :
-
Le micro du téléphone qui implique que l’utilisateur a porté son téléphone à l’oreille,
-
Le haut parleur qui indique que le téléphone est en mode main-libre mais qu’il a été manipulé pour composer un numéro ou pour décrocher un appel entrant,
-
Un casque audio filaire ou sans fil qui indique que le conducteur ne peut plus percevoir correctement son environnement.
Les résultats présentés ci-dessous correspondent à des statistiques calculées pour l’ensemble des conducteurs des groupes A et B pour les appels interdits uniquement et exprimées :
-
en minute de communication par heure de conduite.
-
en nombre d’appels pour 1 000 kilomètres.
-
en pourcentage du nombre de trajets total comportant au moins un appel.
Au regard de la durée des appels rapportée à une heure de conduite, on constate que les conducteurs du groupe B passent en moyenne trois fois plus de temps en communication que leurs homologues du groupe A.
Groupe A |
Groupe B |
|
Durée moyenne de communication téléphonique exprimée en minute par heure de conduite |
1 min / h |
3 min / h |
Durée moyenne de communication téléphonique par heure de conduite exprimée en % |
1,6 % |
5 % |
Pour approfondir la comparaison entre les groupes A et B, il est intéressant de comprendre si l’écart est causé par des appels plus longs ou des appels plus fréquents. La lecture du tableau suivant indique que les conducteurs du groupe A utilisent leur smartphone pour passer ou recevoir un appel téléphonique tous les 90 kilomètres tandis que les conducteurs du groupe B ont tendance à passer ou répondre à un appel tous les 20 kilomètres, soit une fréquence 4 fois plus élevée.
Groupe A |
Groupe B |
|
Nb d’appels pour 1 000 km |
11 |
52 |
Nb d’appels interdits pour 1 000 km |
6 |
41 |
Ce tableau contient une autre indication puisque dans 45% des cas, les conducteurs du groupe A utilisent le système main libre de leur véhicule pour téléphoner tandis que seuls 20% des conducteurs du groupe B y ont recours.
Ceci est confirmé par les diagrammes de répartition ci-dessous qui contiennent 4 catégories combinant les appels entrant et sortant avec les appels interdits et autorisés. Ces diagrammes indiquent pour les deux groupes la proportion des 4 catégories d’appels par rapport à tous les appels détectés.
Le groupe A présente un profil équilibré avec une répartition de 50% d'appels interdits. Le groupe B, moins vertueux, avoisine 80% d'appels interdits.
Les données des deux groupes mettent en avant un phénomène surprenant : la majorité des appels interdits sont à l’initiative du conducteur. L’origine première de la distraction ne provient donc pas d'une stimulation extérieure qui consisterait à répondre à un appel entrant mais, au contraire, du conducteur qui déclenche un appel téléphonique. C’est donc une prise de décision délibérée qui impacte sa sécurité et celle des autres usagers de la route.
Ce comportement est pourtant évitable puisque les dispositifs connectés d’appels via le Bluetooth équipent la majorité des véhicules depuis de nombreuses années et ne nécessitent aucune compétence spécifique à l’usage. Il y a donc un vrai travail de prévention à engager sur ce sujet par les assureurs.
Les pourcentages de trajets avec ou sans appel téléphonique complètent les valeurs précédentes et confirment nos conclusions pour les deux groupes de conducteurs puisque le groupe B présente un pourcentage de trajets avec au moins un appel largement supérieur à celui du groupe A.
Groupe A |
Groupe B |
|
% de trajets sans appel |
90,6% |
64,4% |
% de trajets avec au moins un appel |
9,4% |
35,6% |
% de trajets avec au moins un appel interdit |
5,2% |
29,2% |
On observe également un noyau dur de conducteurs, environ 26,6% pour le groupe A et 6% pour le groupe B, qui ne téléphonent jamais pendant qu’ils conduisent.
Groupe A |
Groupe B |
|
% de conducteurs qui ne passent aucun appel interdit |
38,3% |
7,6% |
% de conducteurs qui ne passent aucun appel |
26,6% |
5,9 % |
Les plages horaires les plus favorables aux appels téléphoniques
Notre solution permet d’établir l’analyse chronologique précise des moments les plus favorables à l’utilisation du téléphone au volant. Le principe consiste à afficher sur une carte de chaleur les intensités d’appels dans un référentiel à deux dimensions : le jour de la semaine et l’heure de la journée.
Les couleurs claires des cartes de chaleur suivantes correspondent aux périodes où la densité d'appels téléphoniques est la plus importante.
GROUPE A
GROUPE B
La lecture des cartes ne révèle pas de différence fondamentale entre les deux groupes. On constate que les appels sont plus nombreux les jours de la semaine par rapport au week-end.
La plage horaire où l'intensité est maximale, qui correspond donc au pic d’utilisation du téléphone, se situe entre la fin de l’après-midi et le début de soirée, soit entre 16h et 20h. Enfin, les journées du jeudi et du vendredi concentrent le plus d’appels téléphoniques sur ces plages horaires.
Le contexte routier le plus propice à la distraction
Notre solution est en mesure d’évaluer précisément la répartition des contextes routiers des trajets réalisés par les conducteurs. Les graphiques ci-dessous représentent les répartitions de la durée de conduite par contexte routier des conducteurs des groupes A et B.
Les contextes sont déterminés en fonction de la vitesse moyenne des déplacements mesurés lors d’un trajet. Le principe et les données calculées sont décrits dans notre documentation publique.
Pour comparer les deux groupes, nous avons normalisé les évènements de distraction par rapport à la durée de conduite dans chaque contexte routier. Ainsi, il est possible de comparer les deux groupes en termes de fréquence de déverrouillages et d’appels par contexte routier malgré une répartition des contextes différente.
Déverrouillages
Appels téléphoniques
Les graphiques indiquent que l’utilisation du téléphone au volant est la plus fréquente dans les zones urbaines et à des vitesses inférieures à 30 km/h. Bien que les conducteurs des groupes A et B passent environ 50% de leur temps de trajet dans des zones extra-urbaines, l’utilisation du téléphone dans ces contextes est marginale.
En revanche, en zone urbaine et à plus basse vitesse, on constate un relâchement de la prudence car la perception du danger est moindre. Cette impression est très relative car si le contexte urbain minimise les dommages potentiels pour le conducteur et son véhicule, il est particulièrement dangereux pour les autres usagers de la route (piétons, vélo, deux roues motorisés). D’ailleurs, ⅓ de la mortalité routière survient en agglomération et 74% des accidents mortels ont lieu lors des trajets quotidiens ou de courte durée.
Enfin, 30% des évènements de distraction du groupe A et 20% des évènements de distraction du groupe B surviennent lors des arrêts véhicule (stops, feux tricolores) ou dans les bouchons. Pourtant, la loi est formelle : il est interdit de manipuler son téléphone portable même à l’arrêt car cela engendre une perte d’attention.
Conclusion
Les données récoltées par notre solution permettent de commencer à dresser un portrait pratique de la distraction au volant. Il ressort de l’analyse de deux populations distinctes que :
-
La distraction représente en moyenne 2 minutes passées sur son téléphone par heure de conduite.
-
Un sous-ensemble de conducteurs n’utilisent jamais leur téléphone. Cependant, une large majorité des conducteurs utilisent leur téléphone au volant.
-
Les appels téléphoniques sont concentrés sur la journée pendant la semaine avec un pic le jeudi et le vendredi en fin de journée.
-
La plupart des conducteurs distraits n’utilisent pas le système main-libre de leur véhicule.
-
Les appels téléphoniques détectés comme “interdits” sont majoritairement des appels sortants et donc à l'initiative du conducteur.
-
La distraction survient surtout en zone urbaine à des vitesses inférieures à 30 km/h.
-
La fin de l’après-midi et le début de soirée (entre 16h00 et 20h00) concentrent la majorité des cas d’utilisation du téléphone au volant.
L’exploitation des données issues de notre solution permet de caractériser les deux groupes de conducteurs sur la base d’indicateurs précis et porteurs de sens. Surtout, ces indicateurs permettent de faire ressortir deux profils de distraction très différents en termes d’usage, de fréquence, de durée et de contexte routier. Le premier groupe de conducteurs est beaucoup moins distrait que le second groupe qui présente un profil de distraction problématique car plus à risque pour un assureur.
Muni de ces informations, l’assureur est désormais en capacité d’agir et de fournir des services et un accompagnement sur-mesure aux conducteurs en fonction de leur profil de distraction.
Le premier levier d’action est la tarification. Compte-tenu des différences de comportement au volant et de leur profil de distraction, il est possible d’adapter la tarification des deux groupes pour refléter leur niveau de risque.
Le second levier d’action est la prévention. Les indicateurs mesurés peuvent être transposés pour évaluer le comportement et le risque d’un conducteur unique et mettre en perspective son comportement avec d’autres conducteurs présentant des caractéristiques similaires en termes d’usage. Ainsi, un assureur est en mesure de proposer des conseils sur-mesure et d’adapter ses messages de prévention en fonction du style de conduite réel de l’assuré. Pour aller encore plus loin et s’assurer que les messages poussés soient compris et adoptés, un assureur peut également organiser des challenges pour ses assurés et récompenser les conducteurs qui progressent le plus.
Par conséquent, en adoptant notre solution de télématique smartphone pour proposer des offres de type Pay-As-You-Drive ou Pay-How-You-Drive, les assureurs se donnent l’opportunité de mesurer la conduite et la distraction de leurs assurés, de définir sur cette base les différents profils de conducteurs qui composent leur portefeuille et enfin d’agir pour réduire leur distraction et donc leur sinistralité via de la prévention sur-mesure et de la gamification. Ces offres constituent une opportunité en or pour les assureurs de fidéliser leur clientèle et d’attirer de nouveaux clients à la recherche de services personnalisés et séduits par un assureur doté d’engagements RSE solides.